Alors qu’il est en voie de contenir la pandémie de la COVID-19, le Québec est rattrapé par son manque de préparation face au vieillissement de sa population. Résultat : la province fait face à un problème de rareté de la main d’œuvre qui pourrait entraver sa reprise économique. « À la base, le problème du Québec est simple, déclare Robert Gagné, directeur du Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) et coauteur de l’étude. Son taux d’emploi est inférieur à celui de l’Ontario ou de la moyenne canadienne parce que sa population âgée de 60 ans et plus est moins présente sur le marché du travail. Le simple fait de ramener le taux d’emploi de cette tranche de la population à celui de l’Ontario permettrait théoriquement de combler la moitié des postes vacants de la province, ce qui donne un ordre de grandeur à l’ampleur du phénomène. »

Dans un rapport intitulé Vieillissement démographique : solutions pour un Québec mal préparé, les auteurs constatent que la faiblesse relative du taux d’emploi des 60 ans et plus au Québec est essentiellement attribuable à la faible participation au marché du travail des natifs – soit la population née au Canada. « Après analyse, il est apparu que le taux d’emploi de la population native de 60 ans et plus au Québec est inférieur à celui des autres catégories de travailleurs âgés, qu’il s’agisse des natifs des autres provinces ou encore des immigrants établis au Québec ou ailleurs au Canada, explique le directeur. De fil en aiguille, nous avons été à même de constater que la surreprésentation des natifs dans la fonction publique et les milieux syndiqués au Québec expliquerait cette réalité. »

Mieux protégés et bénéficiant d’avantages importants au niveau de la retraite, ces travailleurs auraient l’opportunité de se retirer plus tôt du marché de l’emploi, ce qui est clairement à leur avantage. En contrepartie, l’absence de flexibilité des conventions collectives pourrait favoriser la sortie de travailleurs qui seraient peut-être demeurés actifs s’ils avaient pu profiter d’accommodements liés à leur statut de travailleurs âgés.

L’analyse d’un échantillon représentant 10 % des conventions collectives en vigueur au Québec révèle qu’à peine 12,7 % d’entre elles comportent des clauses destinées à favoriser le maintien à l’emploi des travailleurs âgés : vacances additionnelles, allègement de tâches, modulation d’horaire, etc. « En somme, les milieux syndiqués public et privé ne semblent tout simplement pas s’être ajustés à la réalité du plein emploi, explique Jonathan Deslauriers, directeur exécutif au CPP et coauteur de l’étude. À preuve, plus de la moitié des conventions analysées ne présentent aucune clause visant à favoriser la rétention des travailleurs âgés. Et dans le reste de l’échantillon, les seules mesures destinées aux travailleurs âgés concernent la retraite progressive, un mécanisme qui conduit généralement les travailleurs vers une sortie du marché de l’emploi plutôt que de favoriser leur rétention. »

Dans la mesure où au Québec, 44 % des emplois occupés par les natifs sont couverts par une convention collective, les auteurs jugent que la province pourrait pourvoir une partie des postes vacants si des mesures actives de rétention des travailleurs âgés étaient rapidement intégrées dans les conventions collectives. « Le défi demeure toutefois important, convient le directeur. Pour y parvenir, tous les acteurs devront emboiter le pas, autant les entreprises, les syndicats que le gouvernement, qui agit ici à titre de plus important employeur de la province ».

Des leçons à tirer 

En retraçant la genèse du phénomène de vieillissement démographique pour les fins de cette analyse, les auteurs estiment que la province devrait tirer des leçons de la gestion de cet enjeu. « A posteriori, nous constatons que le gouvernement du Québec n’a pas agi de manière proactive alors que l’enjeu de vieillissement était pourtant connu depuis longtemps », explique Robert Gagné. Ancrées dans une logique de chômage élevé, les administrations qui se sont succédé au cours des décennies 2000 et 2010 n’ont pas suffisamment relevé les seuils d’immigration en prévision des besoins futurs du marché du travail. Résultat : la demande de travail excède désormais l’offre, un problème qui aurait pourtant pu être atténué si le bassin de travailleurs avait été bonifié en amont. « Coincé dans une logique de court terme pour un enjeu qui appelait une solution de long terme, le gouvernement s’est ainsi privé d’un important levier qui aurait pu l’aider à atténuer l’impact du vieillissement démographique. Compte tenu de la lenteur du processus et des enjeux d’arrimage sur le marché du travail, il est clair que l’immigration ne constituera qu’une infime partie de la solution de court terme », précise le directeur.

Une fois l’urgence de la situation constatée, le gouvernement du Québec a cherché à favoriser l’emploi des travailleurs âgés pour colmater la brèche qui était en train de se former sur le marché du travail. Des crédits fiscaux ont ainsi été proposés aux travailleurs âgés dès le début des années 2010 pour favoriser leur maintien à l’emploi, des mesures qui n’ont vraisemblablement pas produit les effets escomptés. « D’un côté, on peut douter que l’approche fiscale soit pleinement adaptée à la nature du problème, explique le directeur. En toute logique, les travailleurs qui basent leur décision de retraite sur des crédits fiscaux sont fort probablement peu nombreux. Mais plus important encore, le gouvernement du Québec n’a pas jugé utile de revoir ses propres politiques. À titre de plus important employeur de la province, avec un effectif fortement syndiqué et majoritairement composé de natifs, il aurait pourtant pu prêcher par l’exemple en intégrant des mesures actives de rétention des travailleurs expérimentés dès le début des années 2010 », conclut le directeur.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Vieillissement démographique : solutions pour un Québec mal préparé, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Octobre 2021