Sans une réforme en profondeur des nombreuses politiques de soutien aux entreprises, non seulement le Québec ne pourra atteindre son objectif d’égaler le niveau de vie de l’Ontario d’ici 2036, mais la province risque de s’enliser dans la même spirale qui afflige l’économie canadienne depuis 2015. Voilà le principal constat tiré de la plus récente édition de Productivité et prospérité au Québec  Bilan 2022 publié aujourd’hui par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP).

« Le manque de productivité a toujours été le talon d’Achille de l’économie québécoise, affirme Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude. Quand bien même la province connaît une certaine embellie depuis quelques années, placer la productivité au cœur des nouvelles politiques de soutien aux entreprises ne suffira pas pour pérenniser cet élan. À brève échéance, le Québec risque de frapper un mur s’il n’entreprend pas une réforme : sur le fond, sa stratégie vise toujours les mauvaises cibles, et s’avérera conséquemment tout aussi coûteuse et inefficace qu’elle l’a été au cours des 25 dernières années ».

 Casser la logique de création d’emplois à tout prix

Par ailleurs, le bilan annuel du CPP déplore que la création d’emplois demeure au cœur de la stratégie de développement économique de la province. En 2021, le gouvernement du Québec a consenti quelque 2,4 milliards de dollars en crédits d’impôt aux entreprises, une somme qui s’avère, toute proportion gardée, deux fois supérieure à la valeur des crédits offerts en Ontario.

« Le problème ne se limite pas qu’à l’ampleur des montants consentis, soulève Jonathan Deslauriers, directeur adjoint au CPP et coauteur de l’étude. Encore aujourd’hui, plus de 80 % du soutien fiscal octroyé aux entreprises par le gouvernement du Québec vise directement ou indirectement à stimuler l’emploi plutôt que la compétitivité. Non seulement une telle stratégie s’avère mal avisée en période de rareté de la main-d’œuvre, mais elle tend aussi à renforcer l’effet néfaste des politiques publiques fédérales en matière de gestion de la concurrence en favorisant les grandes entreprises au détriment du dynamisme de l’ensemble des entreprises. »

Une réflexion de fond doit donc rapidement s’amorcer afin de sortir l’appareil gouvernemental de sa logique de protection de l’emploi. « Cette façon de considérer le développement économique n’a jamais servi les intérêts du Québec, ajoute Robert Gagné. À défaut de savoir quand et comment réformer ses mesures, le gouvernement a fini par consacrer des milliards de dollars aux grandes entreprises qui auraient de toute façon entrepris les activités ciblées, alors que les plus petites demeurent reléguées en marge du processus. En bout de ligne, pas étonnant que le retard de productivité persiste au Québec malgré les milliards injectés par l’État. Le gouvernement prêche auprès de convertis, sans véritablement soutenir les PME, qui composent pourtant le cœur de l’économie québécoise. »

Une réforme incontournable qui doit miser sur les forces de la concurrence

Si le Québec souhaite atteindre l’objectif fixé pour 2036, le gouvernement devra apprendre à tirer profit des forces de la concurrence pour stimuler la compétitivité des entreprises. « La stratégie de développement économique du Québec a clairement déraillé, mais personne ne semble vraiment savoir comment la remettre sur les rails », déclare Robert Gagné.

À ce chapitre, les chercheurs de HEC Montréal proposent d’effectuer une réforme en profondeur de la stratégie fiscale qui limiterait l’intervention de l’État. « Au lieu d’offrir sans cesse de nouveaux crédits d’impôt, de surcroît remboursables, le gouvernement obtiendrait de meilleurs résultats en réduisant le fardeau fiscal des entreprises et en leur laissant davantage de marge de manœuvre pour qu’elles s’affrontent à travers une saine mécanique de concurrence, suggère Robert Gagné. Ultimement, c’est l’ensemble de l’économie qui y gagnerait! Les entreprises seront ainsi plus compétitives, plus profitables et donc plus pérennes. Certaines d’entre elles parviendraient peut-être à s’imposer sur les marchés étrangers et, plus important encore, les consommateurs québécois pourraient profiter de produits de meilleure qualité à des prix concurrentiels. »

Selon les auteurs, le Québec n’a pas le luxe d’attendre pour amorcer cette réforme. « À l’instar de l’ensemble du Canada, l’Ontario est en perte de vitesse par rapport aux principales économies occidentales. Ce retard est même appelé à s’accentuer au cours des prochaines années si on se fie à des projections relayées par le ministère des Finances du Canada. L’objectif du gouvernement Legault d’égaler le niveau de vie de l’Ontario d’ici 2036 devra donc impérativement constituer un seuil minimal à atteindre sans quoi, le Québec risque de voir son retard économique progresser encore davantage », conclut Robert Gagné.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec – Bilan 2022, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mars 2023