Après avoir navigué en eaux troubles pendant deux années en raison de la gestion de la pandémie, l’économie du Québec doit maintenant assurer sa relance dans un contexte où l’enjeu de la rareté de la main-d’œuvre s’amplifie, et où l’inflation se mêle de la partie. Dans un contexte aussi explosif, le Québec devra plus que jamais miser sur la productivité du travail selon la plus récente édition de Productivité et prospérité au Québec – Bilan, produite par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers.

« Cette douzième édition de Productivité et Prospérité au Québec a pris forme alors que l’économie québécoise reprenait graduellement le chemin de la croissance, et où le problème de la rareté de la main-d’œuvre réémergeait de manière particulièrement aigüe, explique Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude. Dans l’urgence, les analyses se sont multipliées et le gouvernement du Québec a été sollicité de toutes parts pour soutenir les entreprises. Mais sur le fond, aucune des solutions proposées ne s’est attaquée au véritable fondement du problème : la faible productivité des entreprises. »

La rareté de la main-d’œuvre : un problème alimenté artificiellement par 20 années de mauvaises politiques publiques

Contrairement à ce qui est généralement rapporté, le phénomène de rareté de la main-d’œuvre au Québec est un problème créé en grande partie par le laxisme des entreprises en matière d’investissement et d’innovation, et par des politiques publiques mal orientées, selon les conclusions du rapport. Le phénomène du vieillissement démographique est connu et documenté depuis longtemps, et la solution de la productivité est également clairement identifiée. Mais parce qu’elles ont été habituées à profiter d’un bassin de travailleurs abondant et bon marché pendant des décennies, les entreprises n’ont pas investi et ont peu innové. Pire encore, le gouvernement du Québec a contribué à les maintenir dans cette position à travers une politique fiscale mal avisée.

« La preuve est particulièrement limpide, explique le Directeur. En analysant l’ensemble des crédits d’impôt proposés aux entreprises en 2015 – moment où l’enjeu des postes vacants émergeait – on a constaté qu’un peu plus de 80 % des sommes consenties à travers ces crédits étaient versées sur la base des salaires. En somme, le gouvernement cherchait à inciter les entreprises à adopter des pratiques ou comportements favorisant la croissance de la productivité, mais finançait en réalité les salaires afférents ». Prises dans cet engrenage, les entreprises n’ont pas accéléré leurs investissements en machines, matériels et propriétés intellectuelles et le gouvernement a maintenu une politique fiscale axée vers l’emploi, alimentant le problème de main-d’œuvre plutôt que de chercher à l’atténuer à travers des politiques ciblant la croissance de la productivité.

La productivité pour briser un cercle vicieux

Pour s’attaquer efficacement et durablement à l’enjeu de rareté de main-d’œuvre, les chercheurs estiment que le Québec doit miser sur une solution qui favorise l’utilisation des ressources disponibles en marge du marché du travail, l’idée étant d’attirer ces travailleurs potentiels avec de meilleures conditions de travail. Et c’est ici qu’une croissance plus forte de la productivité du travail peut jouer un rôle important.

« La province est actuellement dans une impasse, explique Jonathan Deslauriers, Directeur exécutif du CPP et coauteur de l’étude. Pour attirer les travailleurs inactifs vers les postes vacants, les entreprises doivent augmenter leurs salaires et améliorer leurs conditions de travail. Mais faute de gains de productivité conséquents, plusieurs d’entre elles ne parviennent pas à financer les hausses salariales nécessaires. Ces entreprises sont alors prises dans un cercle vicieux : à défaut d’attirer les travailleurs disponibles les plus compétents, leur productivité stagne, et comme leur productivité stagne, les salaires offerts ne sont pas compétitifs. Résultat : leurs postes demeurent vacants. »

Pour sortir de cette impasse, les chercheurs estiment qu’une augmentation significative de la productivité est le seul levier permettant aux entreprises d’offrir à court terme les hausses salariales requises pour attirer les travailleurs, et à plus long terme d’accroître leurs investissements pour financer les hausses subséquentes sur la base de gains de productivité. Et a priori, il y a urgence d’agir car « en l’absence de gains de productivité suffisants, les pressions inflationnistes engendrées par la rareté de la main-d’œuvre se répercutent sur les prix de vente des entreprises », précise le chercheur.

Une solution à portée de main

Le gouvernement a en main une solution qui aurait les effets désirés à très court terme : abolir la cotisation obligatoire aux fonds des services de santé (FSS), une taxe payée annuellement par les entreprises en fonction de leur masse salariale. En empruntant cette voie, le gouvernement du Québec libèrerait les entreprises de la province d’une charge fiscale d’approximativement 4 milliards de dollars, de quoi leur donner la marge de manœuvre requise pour financer des hausses salariales.

« Pour compenser une partie de la perte de revenu, le gouvernement pourra éliminer une large part des crédits fiscaux accordés aux entreprises sur la base des salaires, un facteur identifié comme étant à la source du problème de la rareté de la main-d’œuvre et dont l’efficacité n’a jamais été démontrée », conclut Robert Gagné.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec – Bilan 2021, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mars 2022