Alors que la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) a conclu son année financière avec la plus importante perte depuis la débâcle de 2008, ses hauts dirigeants se sont partagé 10,6 millions de dollars en boni sous prétexte qu’ils avaient surperformé en regard de la moyenne du marché. Une étude dévoilée aujourd’hui par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers de HEC Montréal vient toutefois jeter un pavé dans la mare de la Caisse : s’ils avaient été évalués sur la base d’un processus d’analyse plus rigoureux, les conclusions n’auraient peut-être pas été les mêmes.

« Le constat qui se dégage de ce quatrième volet de la série Productivité du secteur public québécois est clair, explique Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude : la Caisse est suffisamment performante pour que les déposants soient en mesure d’assumer leurs obligations financières à court et à long terme, mais sa capacité à générer du rendement depuis la débâcle financière de 2008 est faible. En somme, tout indique que la Caisse n’assume pas efficacement le mandat que le gouvernement lui a confié ».

De 2008 à 2014, les gestionnaires de la CDPQ ne sont pas parvenus à se démarquer significativement de leurs indices de référence, ce qui signifie que les déposants ont obtenu un rendement à peu près équivalent à celui obtenu sur les marchés. Et si la Caisse est parvenue à se démarquer au cours des années subséquentes, ce sera au prix d’une augmentation importante de ses charges d’opération, et en misant essentiellement sur le rendement du portefeuille de placements privés, des investissements pour lesquels la mesure du rendement est approximative et dont la rigueur reste à démontrer.

L’analyse met en lumière la nature incomplète du processus d’évaluation de la performance des gestionnaires de la Caisse. « Parce qu’elle détermine les indices de référence de manière à évaluer le rendement de ses gestionnaires uniquement en fonction de la performance moyenne des marchés dans lesquels elle est présente, la CDPQ ignore sciemment des stratégies de placement alternatives susceptibles de produire de meilleurs rendements, explique Jonathan Deslauriers, coauteur de l’étude. À défaut d’avoir un cadre de comparaison adéquat, il s’avère fort difficile de déterminer si la Caisse gère efficacement le mandat qui lui a été confié sur la base des informations qu’elle publie ».

Pour évaluer l’efficacité des gestionnaires de la Caisse, les chercheurs se sont tournés du côté de CPPIB, l’organisme qui gère l’actif du Régime de pension du Canada. « CPPIB utilise une approche plus neutre pour évaluer la performance de ses gestionnaires, explique Robert Gagné. En somme, CPPIB utilise un indice de référence représentant une stratégie de placement passive sur les marchés obligataires et boursiers, stratégie qui implique une certaine prise de risque mais qui s’avère aisément reproductible et ce, à faible coût. Ce n’est pas parfait mais au moins, l’organisme sort de la logique circulaire qui fait actuellement défaut dans le processus d’évaluation de la Caisse ».

En utilisant cet indice pour évaluer l’efficacité des gestionnaires de la Caisse, les chercheurs concluent que sa gestion active n’est jamais parvenue à surclasser le rendement théoriquement associé à la stratégie passive propre à l’indice de CPPIB. De l’avis du directeur, un tel constat envoie un signal clair aux dirigeants de la Caisse : « plutôt que de se contenter d’évaluer sa performance sur la base du rendement moyen obtenu dans les marchés où elle est active, la Caisse devrait proposer des mesures alternatives afin de permettre aux déposants d’évaluer si la gestion active de leurs fonds s’avère ultimement plus rentable qu’une stratégie passive qui minimise les coûts d’opération. Ce n’est que sous de telles conditions que la Caisse pourra légitimement se vanter d’être efficace. »


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné, Claude Laurin et Jonathan Paré, Productivité du secteur public québécois : La Caisse de dépôt et placement du Québec, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Juin 2023