Alors que les provinces se livrent à un bras de fer avec le gouvernement fédéral pour revendiquer une hausse des transferts en santé, une étude menée par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) révèle qu’elles auraient plutôt avantage à s’affranchir de cette dépendance. « Pour aider les citoyens à y voir plus clair sur la question des transferts fédéraux en santé, nous avons reconstitué le contexte historique dans lequel ils ont été instaurés, explique Robert Gagné, coauteur et directeur du CPP. On comprend ainsi pourquoi le gouvernement fédéral intervient aujourd’hui dans des champs de compétences provinciales, mais surtout pourquoi le système en place est devenu au fil du temps un outil politique qui sert très mal les intérêts des usagers des systèmes de santé provinciaux et des contribuables qui, ultimement, financent tous ces programmes. »

Des problèmes qui ne datent pas d’hier

Plus spécifiquement, l’étude démontre que la question du financement de la santé au Canada va bien au-delà de la seule délimitation des sommes à y injecter. « En fait, elle ramène aux fondements mêmes de la fédération canadienne, explique le directeur. Comme la répartition des pouvoirs s’est effectuée bien avant l’émergence de l’État providence, plusieurs des rôles qui définissent aujourd’hui la société canadienne ont été attribués aux provinces parce qu’ils étaient considérés comme secondaires à l’époque (santé, éducation, services sociaux). Résultat : d’importants déséquilibres fiscaux ont fait leur apparition au fur et à mesure que le filet social canadien s’est déployé à partir du milieu du 20e siècle. Et c’est précisément ce dont il est aujourd’hui question quand les gouvernements discutent du financement de la santé ».

Selon les auteurs, le déséquilibre fiscal horizontal qui limite la capacité de certaines provinces à offrir des services publics de qualité et en quantité comparables à leurs voisines a été en bonne partie corrigé par la mise en place du système de péréquation en 1957. Ce n’est toutefois pas le cas du déséquilibre fiscal vertical associé au fait que les administrations provinciales et fédérale partagent les mêmes assiettes fiscales en dépit de responsabilités nettement différentes. « Malgré les nombreuses tentatives pour améliorer le financement du filet social canadien, cette cohabitation est encore aujourd’hui à l’origine de conflits, fait remarquer le directeur. C’est d’ailleurs ce qui explique cette nouvelle montée aux barricades concernant les transferts en santé. »

Pour rétablir ce déséquilibre, les provinces font actuellement front commun afin que le gouvernement fédéral injecte les 26 milliards de dollars qu’elles jugent nécessaires à un financement pérenne des systèmes de santé. De leur avis, cette solution garantirait à plus long terme un partage équilibré de l’endettement des gouvernements au Canada. Selon les auteurs, cette avenue ne règlerait toutefois pas le problème des provinces. Au mieux, elle ne ferait que retarder de quelques années un nouveau débat sur le financement de la santé.

« Sur le fond, cette proposition n’est pas viable car elle ne s’attaque pas au problème structurel qui entrave le financement de la santé, affirme Jonathan Deslauriers, directeur exécutif au CPP et coauteur de l’étude. Sans un contrôle complet de l’espace fiscal nécessaire au financement de cette mission, les provinces demeurent à la merci du gouvernement fédéral libre de favoriser d’autres dépenses au détriment de la santé. Pour régler définitivement ce débat, les provinces doivent donc emprunter une autre voie ».

Une proposition plus durable

Deux conditions doivent toutefois être respectées pour réformer efficacement le financement de la santé. « Tout d’abord, la solution doit passer par l’abandon pur et simple du système de transferts fédéraux, soutient Robert Gagné. En contrepartie, comme le gouvernement fédéral sera libéré de ces transferts, il devra diminuer proportionnellement sa présence dans une ou plusieurs des assiettes fiscales qu’il partage avec les provinces. Bien que cette solution puisse paraître radicale, elle favoriserait un meilleur fonctionnement de la fédération canadienne. En corrigeant efficacement et durablement une large part du déséquilibre fiscal vertical, cette avenue nous assure que la ponction des deux paliers de gouvernement dans les différentes assiettes fiscales qu’ils partagent demeure en adéquation avec leurs responsabilités respectives. »

 Par ailleurs, les chercheurs recommandent de mettre en place des mécanismes pour assurer une saine reddition de compte. « Actuellement, les usagers et contribuables – qui financent les systèmes de santé au Canada – sont non seulement incapables d’en évaluer précisément la performance, mais ils ne disposent d’aucun moyen pour déterminer si les revendications de leur gouvernement provincial en matière de financement sont ou non justifiées », déclare Jonathan Deslauriers.

Un système de reddition de compte pourrait rapidement être mis en place en modifiant le mandat de l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS). En lui conférant des pouvoirs accrus, cet organisme pourrait agir comme organe de régulation des données plutôt que seulement à titre de partenaire des provinces dans la collecte et la diffusion de données sur la santé, comme c’est le cas actuellement. Ce faisant, l’ICIS deviendrait le chien de garde des citoyens, ce qui éviterait aux usagers des systèmes de santé et aux contribuables qui les financent d’être éternellement pris en étau entre des gouvernements qui se disputent leur argent. « Car il ne faut surtout pas oublier que peu importe le palier de gouvernement qui finance les dépenses additionnelles, ce seront toujours les mêmes contribuables qui devront payer la facture », conclut Robert Gagné.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné, Fabienne Éléonore Gouba et Jonathan Paré, L’heure juste concernant les transferts fédéraux aux provinces, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mai 2021