Si le gouvernement fédéral a jusqu’ici remporté son pari en cumulant des déficits budgétaires pour stimuler la croissance de l’économie canadienne, poursuivre une telle stratégie au cours des années à venir serait risqué, conclut une étude dévoilée aujourd’hui par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers.

« Selon les prévisions actuelles du gouvernement fédéral, environ 84,7 milliards de dollars devraient s’ajouter à la dette publique fédérale au cours des quatre prochaines années en raison des déficits planifiés, précise Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude. Si cette volonté se concrétise, la stratégie fédérale aura donc ajouté plus de 140 milliards de dollars à la dette publique fédérale pour financer une croissance économique de court terme. Le problème, c’est que cette dette perdura à long terme, et ses conséquences sur le plan de l’équité entre les générations de contribuables pourraient s’avérer considérables ».

Une stratégie rentable à court terme…

Loin d’être alarmistes, les auteurs rappellent d’emblée que les conditions économiques qui prévalaient en 2015 pouvaient justifier une telle stratégie. Sans qu’il ne soit question de récession, la croissance de l’économie canadienne était faible – voire négative lors de certains trimestres – de sorte qu’appuyer cette croissance par l’entremise d’une hausse des dépenses publiques pouvait s’avérer judicieux.

« Sans qu’on ne puisse clairement parler de relation de cause à effet, la croissance économique qui a suivi l’arrivée du nouveau gouvernement en 2015 a été suffisamment bonne pour couvrir les déficits encourus, précise le directeur. Et au bout du compte, les retombées ont été intéressantes pour les contribuables : la croissance économique s’est accrue, le poids de la dette a diminué malgré les déficits cumulés, la ponction du gouvernement dans l’assiette fiscale du pays est demeurée relativement stable et son offre de service a atteint un sommet historique. »

… mais risquée à plus long terme

Toutefois, la donne pourrait bien changer si le gouvernement maintenait la même stratégie au cours des prochaines années selon les auteurs. Grâce aux conditions d’emprunts particulièrement avantageuses des dix dernières années, et aux efforts déployés pour assainir les finances publiques du pays entre 1995 et 2008, le service de la dette ne constitue pas un enjeu budgétaire important pour l’instant, soulignent les chercheurs. Cependant, cet état de grâce pourrait rapidement basculer si le gouvernement ne dépose pas rapidement un plan de retour à l’équilibre budgétaire.

Advenant une hausse permanente des taux d’intérêt, les 141,2 milliards de dette contractée pour financer les déficits des quatre dernières années et ceux des quatre prochaines pèseraient alors lourdement dans la balance de l’équité intergénérationnelle. « Dans de telles circonstances, le service de la dette prendra de l’expansion, et les futures générations de contribuables pourraient éventuellement ne plus être en mesure de s’offrir les mêmes services sans recourir à des déficits plus importants, ou à une fiscalité plus lourde. Dans un cas comme dans l’autre, l’équité intergénérationnelle ne sera pas respectée », prévient Robert Gagné.

 Une recommandation claire

Pour éviter une telle situation, les auteurs recommandent qu’un plan de retour à l’équilibre budgétaire soit rapidement déposé. Cet objectif pourrait vraisemblablement être atteint à la fin du présent mandat en limitant simplement la croissance des dépenses de programme au seuil de l’inflation. Et pour éviter de tels dérapages dans le futur, les chercheurs estiment que le parlement devrait impérativement réactiver la loi fédérale sur l’équilibre budgétaire instaurée en 2015 et abrogée un an plus tard par le nouveau gouvernement. En limitant le recours aux déficits budgétaires aux périodes de turbulences économiques, le parlement évitera ainsi qu’un gouvernement de passage ne contamine les finances publiques des prochaines générations de contribuables.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Le point sur les déficits budgétaires fédéraux , Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Janvier 2020