Dire que l’approvisionnement en équipements de protection individuelle (EPI) – masques, visières, gants, blouses, etc. – a constitué l’un des enjeux majeurs de la première vague de la pandémie de la COVID-19 relève de l’euphémisme. Dans cette course contre la montre, tous les pays industrialisés se sont arraché les mêmes produits pour répondre à des besoins de plus en plus criants. Mais un an plus tard, avec le recul, quelles leçons peut-on tirer de cette crise logistique? Le Québec aurait-il pu faire autrement? C’est justement pour mieux comprendre les décisions prises par les différents acteurs logistiques du Québec que le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) a confié aux chercheurs Jacques Roy et Martin Beaulieu le mandat de réaliser une étude sur la gestion des EPI dans le réseau québécois de la santé.

« Par le biais d’entrevues menées auprès de décideurs logistiques du secteur de la santé, nous avons d’abord reconstitué le fil des événements et des actions survenus lors de la première vague, soit au moment où les défis d’approvisionnement en EPI s’avéraient les plus grands, explique Jacques Roy, professeur titulaire à HEC Montréal et spécialiste de la chaîne logistique. Nous avons ensuite analysé ces données afin de formuler des constats et des recommandations visant à aider les décideurs publics à adopter de meilleures pratiques de gestion de la chaîne logistique. »

 Une crise avant la crise

La chronologie des événements révèle notamment que bien avant que la pandémie de la COVID-19 ne frappe le Québec, une crise logistique entourant les équipements de protection individuelle sévissait déjà. En raison des caractéristiques de la chaîne logistique des EPI (stratégie de bas coûts, production délocalisée en Asie) et d’événements conjoncturels (Nouvel An chinois, Wuhan principale zone industrielle de production des EPI et épicentre de la pandémie), la fenêtre d’opportunité pour sécuriser des stocks d’EPI était devenue très étroite. Même en la saisissant, il aurait été impossible d’obtenir suffisamment de stocks pour répondre à une demande qui allait bondir dans tous les établissements de santé du Québec. Dès février, il semblait donc évident que les fournisseurs habituels du réseau ne pourraient suffire à la demande.

Plus spécifiquement, les chercheurs ont identifié quatre lacunes qui auraient nui à la pleine efficacité du processus d’approvisionnement des EPI en contexte de pandémie: une gestion par consensus mal adaptée en temps de crise, des systèmes d’information peu conformes aux activités logistiques, des relations avec les fournisseurs se limitant aux transactions et des systèmes de gestion de la performance embryonnaires.

Quelques recommandations

À la lumière de ces constats, les chercheurs ont formulé des recommandations en s’appuyant sur des pratiques exemplaires.

  • Identifier des prédicteurs pour anticiper l’émergence d’une pandémie future : cette pratique permettrait de mettre de l’avant des mesures préventives telles que l’acquisition de produits supplémentaires et la mise en œuvre d’une équipe opérationnelle de gestion de la pandémie.
  • Diversifier l’expertise en matière de gestion des achats : ce qui permettrait de réaliser des achats intégrant les particularités des marchés internationaux et d’analyser les risques associés aux sources d’approvisionnement.
  • Définir une structure centralisée de gestion de la logistique en période de pandémie ou de crise ainsi que les politiques d’allocation : Une structure centralisée simplifierait les communications entre les fournisseurs et les établissements de santé, réduisant ainsi la concurrence à l’intérieur du réseau. La politique d’allocation des EPI doit être périodiquement actualisée en fonction du contexte observé.
  • Assurer la mise à jour d’informations clés d’un système de gestion de la demande indispensable en période de pandémie: Car il est plus simple d’entretenir au quotidien des informations de base que de chercher à les actualiser en période de crise.
  • Entretenir une collaboration étroite entre la direction logistique et le Service de prévention et de contrôle des infections des établissements de santé: Cette collaboration offrirait une légitimité aux gestionnaires logistiques d’assurer le respect des protocoles d’utilisation des EPI et une expertise pour le contrôle de la qualité lors des achats.
  • Développer des formules de collaboration entre les établissements et les fournisseurs: Une telle collaboration peut offrir de la visibilité sur la demande aux fournisseurs afin qu’ils puissent suggérer des solutions à d’éventuelles ruptures de stocks. En contrepartie, les fournisseurs pourraient partager des informations stratégiques sur les marchés et leurs contraintes avec les établissements de santé.

« Ces recommandations s’inscrivent d’abord dans le développement d’un système de gestion visant à atténuer les impacts d’une pandémie mais elles visent aussi à rehausser la performance de la chaîne logistique du secteur de la santé au quotidien, ce qui assurera leur pérennité en prévision d’une prochaine crise », concluent les auteurs Jacques Roy et Martin Beaulieu.


Pour en savoir davantage : Beaulieu, Martin et Jacques Roy, Gestion des équipements de protection dans le réseau québécois de la santé : chronologie des évènements, constats et recommandations, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Avril 2021