Dans un contexte où la pandémie de la COVID-19 a porté les dépenses publiques à des niveaux records, les gouvernements seront assurément à la recherche de nouveaux revenus pour combler une partie de leurs déficits. La tentation d’exiger un effort accru de la part des contribuables les plus riches sera alors plus forte que jamais. Or, une analyse dévoilée aujourd’hui par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) révèle que l’État aurait intérêt à miser sur d’autres stratégies pour renflouer ses coffres. « Notre analyse démontre clairement que les contribuables les mieux nantis s’organisent généralement pour éviter les hausses d’impôts, déclare Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude. Non seulement parviennent-ils à réduire leurs revenus afin d’y échapper, mais leurs efforts se révèlent souvent suffisamment importants pour passer à une classe de revenu inférieure. »

Pour effectuer cette analyse, les chercheurs du CPP ont développé une méthodologie qui permet d’isoler l’effet des changements dans les taux d’imposition des autres facteurs (croissance économique, récession, etc.) susceptibles d’interférer aussi dans les recettes fiscales.

Les moyens de contourner le système

La flexibilité fiscale serait d’ailleurs propre aux plus fortunés puisque les contribuables dont le revenu est inférieur à 100 000 $ ne réussissent pas à esquiver une hausse de taux, même partiellement. Différents facteurs expliquent cette situation : d’abord, les revenus des contribuables de la classe moyenne proviennent généralement du salaire, ce qui limite considérablement leurs échappatoires. En somme, seule une diminution du temps de travail ou le passage au travail au noir pourrait leur permettre de réduire leur revenu afin d’éviter une hausse.

« En revanche, les voies de contournement à la portée des contribuables s’accroissent à mesure que leur revenu augmente et que leurs sources de revenu se diversifient, explique le directeur. Par exemple, un professionnel peut réduire ses heures de travail pour ramener son revenu à un palier d’imposition inférieur et ainsi éviter la hausse, un autre pourrait devancer sa retraite. De plus, les contribuables les plus riches recourent souvent aux services d’un fiscaliste pour emprunter les voies légales de la planification et de l’évitement fiscal, et ainsi éviter un effort fiscal additionnel. »

Une stratégie discutable

Taxer davantage les plus riches aura pourtant été la stratégie mise de l’avant par le gouvernement Trudeau en 2016 pour accroître ses recettes fiscales. Donnant suite à une promesse électorale, les nouveaux élus ont ainsi accordé une baisse d’impôts à la classe moyenne en instaurant, en contrepartie, un nouveau palier d’imposition pour les plus riches.

Toutefois, contrairement aux attentes, cette réforme qui a fait passer le taux marginal combiné fédéral-provincial au Québec de 49,97 % à 53,31 %, n’a pas produit l’effet escompté. En réaction à cette hausse, les contribuables les mieux nantis du Québec ont réduit leurs revenus totaux de 2,7 milliards de dollars afin de se soustraire à l’effort fiscal additionnel. Résultat : Au Québec, la réforme a entraîné une baisse des recettes fiscales de 1,17 milliard de dollars pour les gouvernements fédéral et provincial et 4 711 contribuables québécois seraient ainsi passées à une classe de revenu inférieure en cherchant à réduire leur revenu total.

Est-ce à dire que taxer davantage les plus riches ne constitue pas une solution ? « Pas nécessairement, affirme Robert Gagné. Tout dépendant de la pression fiscale déjà exercée sur les contribuables. Or, comme le Canada (particulièrement au Québec) compte parmi les pays où les contribuables sont les plus imposés au monde, cette stratégie a plutôt provoqué l’effet contraire. »

Ainsi, l’analyse du CPP confirme bel et bien l’existence d’une relation entre les taux marginaux d’imposition et le revenu total. Autrement dit, lorsque les taux marginaux d’imposition sont bas, il est possible d’accroître les recettes fiscales provenant des contribuables à revenu très élevé même en augmentant ces taux. Toutefois, il existerait un seuil prohibitif au-delà duquel toutes hausses supplémentaires du taux d’imposition seraient associées à des baisses des recettes fiscales. Ce seuil serait vraisemblablement dépassé au Québec et au Canada.

Ces résultats envoient un message clair aux politiciens. Dans un contexte où les finances publiques du Québec et du Canada sont grandement sollicitées par la pandémie, les gouvernements seront inévitablement à la recherche de nouveaux revenus pour financer la relance et la pression populaire sera plus forte pour qu’ils se rabattent sur les mieux nantis. « À la lumière de ces résultats, un constat s’impose : les gouvernements devront recourir à des solutions alternatives pour combler leurs besoins de financement. », conclut Robert Gagné.


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné, Fabienne Gouba et Jonathan Paré, Effort fiscal des plus riches : une vérité qui dérange , Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Août 2020

Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné, Fabienne Gouba et Jonathan Paré, Effort fiscal des plus riches : Rapport technique, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Août 2020