Pour souligner une décennie de recherche sur l’enjeu de la productivité au Québec, le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) dévoile aujourd’hui la dixième édition de Productivité et prospérité au Québec – Bilan. « Initialement, ce bilan visait à sensibiliser les décideurs au défi de la productivité et à son impact sur la prospérité économique du Québec, explique Robert Gagné, directeur du CPP. À cette époque, la réalité avait de quoi préoccuper : après 30 ans de croissance particulièrement lente en matière de productivité, un important écart de prospérité économique séparait le Québec des principales économies occidentales. Depuis, le discours politique a évolué mais sur le fond, le problème demeure entier : faute d’avoir redressé sa performance en matière de productivité, le Québec peine toujours à générer de la richesse. »

Si bien qu’encore aujourd’hui, les constats tirés du Bilan 2018 continuent d’inquiéter. Au cours des quatre dernières années, la productivité du travail est, à toute fin pratique, demeurée au neutre au Québec avec une croissance annuelle moyenne d’à peine 0,1 %. En bref, un défi de taille attend le nouveau gouvernement.

Des constats préoccupants, des conséquences tangibles

Ainsi, au fil du temps, les Québécois ont fini par être rattrapés par la lente croissance de leur économie. Désormais, ils disposent de moins d’argent pour consommer et épargner que les résidents des autres provinces. Avec un revenu disponible moyen de 28 455 $ par habitant en 2017, le Québec est actuellement relégué en queue de peloton alors qu’il y a à peine 20 ans, cette province se comparait avantageusement à la moyenne canadienne.

« On tente parfois de minimiser l’enjeu du revenu disponible en invoquant des inégalités de revenus plus faibles au Québec, ou encore un coût de la vie moins élevé, soulève Jonathan Deslauriers, directeur adjoint au CPP. Mais dans les deux cas, ces arguments ne peuvent expliquer l’écart observé avec les autres provinces. À titre d’exemple, face à l’Ontario, les inégalités sont plus faibles au Québec parce que les plus riches y ont un revenu inférieur à leurs vis-à-vis et non parce que les pauvres y sont mieux nantis. Et même en ajustant les calculs pour tenir compte du coût de la vie au Québec, le constat reste le même : faute d’une prospérité économique adéquate, la majorité des ménages dispose de moins d’argent pour consommer et épargner. »

Des pistes de solutions concrètes

À la lumière de ces dix années de recherche sur la question, les chercheurs identifient trois champs d’action pour accroître la productivité de la province et en améliorer la performance : investir en éducation, stimuler l’investissement privé et favoriser l’innovation.

« Confiné depuis longtemps au bas du classement national au chapitre des dépenses publiques en éducation, le Québec aurait tout avantage à accroître son investissement en capital humain, avance Robert Gagné. Avec une croissance d’à peine 9 % de ses dépenses réelles en éducation au cours des dix dernières années, le Québec n’a clairement pas déployé l’effort financier requis pour accroître en amont la productivité de ses travailleurs. En investissant judicieusement en éducation, l’État pourrait éliminer deux entraves majeures à la productivité de la province : le décrochage scolaire et un taux de diplomation universitaire insuffisant, qui limite actuellement la capacité de la province à innover ».

Pour améliorer cette capacité à innover, le Québec aurait par ailleurs intérêt à investir davantage en recherche et développement (R-D). En 2016, la province a consacré 2 171 $ par emploi à la R-D, un effort nettement moins substantiel que celui déployé par des pays tels que la Finlande, la Suède ou le Danemark, qui dépensent jusqu’à 90 % de plus que le Québec en R-D. Selon les chercheurs, la faiblesse relative des dépenses privées en R-D serait le reflet d’un problème constaté à plus grande échelle : de façon générale, les entreprises de la province investissent peu. « Avec un investissement privé non résidentiel chiffré à 8 212 $ par emploi en 2017, le Québec fait plutôt piètre figure face aux 20 pays de l’OCDE avec lesquels on le compare année après année, précise le directeur. Par exemple, l’investissement privé en Finlande y était 1,7 fois plus élevé qu’au Québec et pourtant, ce pays était loin d’occuper la tête de ce classement. »

La solution devra passer par les entreprises

A posteriori, les chercheurs constatent donc que la faiblesse relative des investissements en capital humain, en capital physique et en R-D a fini par se répercuter sur la performance des entreprises québécoises. «  À la fin des années 90, l’écart de productivité entre les entreprises du Québec et celles de l’Ontario était essentiellement attribuable à un effet de structure, explique le directeur. Autrement dit, si la structure de l’économie québécoise avait alors été identique à celle de l’Ontario – c’est-à-dire si la répartition sectorielle des heures travaillées au Québec avait été identique à celle de sa voisine – le Québec aurait affiché une productivité légèrement supérieure à celle de l’Ontario. »

Mais depuis, cet effet s’est estompé et aujourd’hui, moins de 25 % de l’écart Québec-Ontario est attribuable à un effet de structure. « Faute d’avoir su corriger le tir, le Québec est désormais aux prises avec un problème de productivité pure, conclut Robert Gagné. Si rien n’est fait pour rectifier la situation, cet écart de richesse que le Québec accuse face aux autres économies se creusera inéluctablement. »


Pour en savoir davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité et prospérité au Québec – Bilan 2018, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, Mars 2019