Après avoir évalué la performance de la Société des alcools du Québec et celle de Loto-Québec, le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP) dévoile aujourd’hui le dernier volet d’une trilogie portant sur la productivité des sociétés d’État : Productivité du secteur public québécois – Hydro-Québec. Cette fois encore, les auteurs de l’étude constatent la présence d’un problème de productivité : « Même si Hydro-Québec parvient à relever le défi de maintenir de bas tarifs tout en demeurant rentable, force est de constater qu’elle pourrait faire mieux, soutient Robert Gagné, directeur du CPP. Depuis dix ans, elle peine à engranger des gains de productivité, ce qui laisse présager que cette société d’État aurait pu contribuer encore davantage à l’enrichissement du Québec, que ce soit en versant un dividende plus important ou en limitant les hausses tarifaires. »

Après avoir enregistré une croissance exceptionnelle au cours des décennies 80 et 90, la productivité du travail d’Hydro-Québec a cessé de s’accroître au tournant des années 2000. Le gouvernement a certes tenté de corriger le tir en 2010 en exigeant davantage d’efficacité de la part de ses sociétés d’État mais a posteriori, son intervention s’est avérée stérile : « En cherchant à augmenter le dividende versé par Hydro-Québec pour accélérer le retour à l’équilibre budgétaire, le gouvernement a obligé la société d’État à trouver des solutions comptables de court terme qui se sont avérées très peu porteuses sur le plan de l’efficacité économique, poursuit le coauteur de l’étude. LA solution ne se trouve pas derrière l’effectif d’Hydro-Québec mais plutôt au niveau de l’exploitation de son parc de production ».

Ainsi, en mesurant la productivité multifactorielle d’Hydro-Québec, c’est-à-dire en évaluant l’efficacité globale de tous ses facteurs de production (travail, infrastructures de production, immeubles, etc.), les auteurs ont remarqué que sa productivité a chuté de 20 % au cours des dix dernières années. Selon le directeur du CPP, une telle perte d’efficacité cacherait une réalité fort préoccupante : Hydro-Québec peinerait à générer plus de richesse malgré une capacité de production accrue. « Sous le couvert de la sécurité énergétique, la construction de nouvelles centrales a été planifiée au début des années 2000 et des appels d’offres ont été lancés afin de maintenir les surplus de production aux fins d’exportation. Le temps d’opérationnaliser cette stratégie, les conditions du marché se sont resserrées et Hydro-Québec s’est retrouvée avec des surplus qu’elle ne pouvait pleinement valoriser. Sa productivité a alors diminué. »

Que cette situation échappe ou non au contrôle de la société d’État, il serait mal avisé de minimiser les conséquences du manque d’efficacité d’Hydro-Québec. Même si la société d’État contribue largement à l’effort fiscal de la province, et qu’elle offre des tarifs avantageux aux Québécois, ces conditions auraient vraisemblablement pu être meilleures si son efficacité ne s’était pas dégradée au cours des dix dernières années.

 Une intervention coûteuse

En limitant l’analyse de la performance d’Hydro-Québec aux seules dimensions de profits et tarifs, le gouvernement n’a pas été en mesure de diagnostiquer son problème d’efficacité. Et cette fois, il a lui-même contribué à la détérioration de la performance de son entreprise. « Le gouvernement du Québec a contraint Hydro-Québec à déployer la filière éolienne pour des motifs qui s’apparentent au développement régional alors que dans les faits, des solutions moins coûteuses auraient probablement mieux servi les intérêts des Québécois. Jusqu’à un certain point, la décision pouvait se justifier comme un choix de société. Toutefois, là où le bât blesse, c’est que le gouvernement a persisté sur cette voie même lorsque les conditions du marché se sont détériorées. »

Conséquences : le gouvernement a obligé les consommateurs québécois à assumer des hausses tarifaires plus importantes que nécessaires, cette charge ayant été estimée à 2,5 milliards de dollars par la vérificatrice générale du Québec. Plus important encore, il a accentué le problème d’efficacité d’Hydro-Québec en accroissant inutilement ses surplus et ce, à la limite du gaspillage. Déjà contrainte de verser d’importantes redevances annuelles à TransCanada Énergie en raison de la non utilisation de la centrale de Bécancour, Hydro-Québec a dû relâcher l’équivalent de 10 TWh de ses réservoirs en 2018, faute de débouchés.

Quelques recommandations

Face à de tels constats, il apparaît nécessaire de revoir certains mécanismes qui encadrent l’exploitation d’Hydro-Québec. Le gouvernement devrait éviter d’utiliser Hydro-Québec en tant qu’outil de développement régional pour des visées qui outrepassent la mission de la société d’État, soit la production hydroélectrique. Si ses dirigeants jugent nécessaire de souscrire à des sources d’approvisionnement alternatives, il s’agira alors d’une décision d’affaires et non d’une décision politique, et la société d’État sera elle-même appelée à répondre de sa performance. « Pourquoi créer une société d’État commerciale si c’est pour la gérer comme une composante ministérielle », soulève Robert Gagné.

Pour favoriser la transparence, l’emprise de la Régie sur la fixation des tarifs devrait par ailleurs être éliminée et le concept de bloc patrimonial devrait être abandonné. En termes effectifs, il s’agit essentiellement d’artifices politiques qui ne protègent que très partiellement les intérêts des Québécois. Considérant que les hausses tarifaires sont bornées par l’inflation depuis 1944 – soit bien avant que la Régie ne soit appelée à réguler les tarifs – il semblerait nettement plus simple de cadrer les augmentations de tarifs sous l’inflation. Ainsi, le gouvernement simplifierait la fixation des tarifs, et limiterait les faux débats entourant les hausses tarifaires.


Pour en apprendre davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné et Jonathan Paré, Productivité du secteur public québécois – Hydro-Québec, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, janvier 2019.