Accroître le fardeau fiscal des entreprises québécoises contribuerait non seulement à pénaliser les travailleurs, mais ce sont les moins bien nantis qui en payeraient davantage le prix, révèle une récente analyse réalisée par le Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) de HEC Montréal. « Dans un contexte où le gouvernement du Québec a entrepris un examen de son cadre fiscal, il nous apparaissait important de connaître les véritables répercussions d’une hausse de la charge fiscale des entreprises, explique Robert Gagné, directeur du CPP. D’autant plus qu’à la lecture du rapport qui découle de cet examen, on a constaté que ce possible impact sur les travailleurs a été éludé des analyses et des recommandations de la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise. »

Pour tirer cette question au clair, les chercheurs du CPP ont donc analysé les résultats de près de 25 études portant sur l’incidence de l’impôt des sociétés et des cotisations sociales sur les salaires des travailleurs. Cet exercice a dévoilé qu’entre 20 % et 100 % de la charge fiscale des entreprises est refilée, au final, aux travailleurs, principalement par l’entremise de salaires plus faibles. Par ailleurs, ce transfert s’avère plus marqué sur le salaire des employés ayant peu d’éducation, d’ancienneté et d’expérience, ce qui impliquerait que les travailleurs les moins bien rémunérés sont souvent les plus pénalisés.

En d’autres mots, même si les entreprises sont en pratique ciblées par une taxe, une cotisation ou un impôt, et qu’elles effectuent le paiement de cette obligation légale, elles n’en assument pas, dans les faits, les frais. D’importants mécanismes de transfert s’opèrent de sorte qu’à long terme, ce poids est transmis à des tiers.

À titre d’exemple, une entreprise pourrait compenser les charges fiscales qu’elle doit assumer en modifiant son capital installé (bâtiment, machinerie, outils, équipement, parc informatique, etc.) ou en changeant les conditions de travail consenties à ses employés (salaires, temps de travail, horaire, avantages sociaux, etc.). Dans les deux cas, ce seront les travailleurs qui paieront ultimement la note par l’entremise de salaires moindres, d’emplois moins nombreux ou de conditions de travail moins avantageuses.

« Ainsi, lorsque les partisans d’une hausse de la charge fiscale pour les entreprises revendiquent une plus grande contribution pour financer les dépenses publiques, non seulement supposent-ils à tort que les taxes et les impôts perçus auprès des entreprises se répercutent uniquement sur le profit versé aux actionnaires, mais ils recommandent sans le savoir la création d’un système fiscal plus régressif pour les employés moins bien outillés », déplore Robert Gagné.

Quelques recommandations
« Par ailleurs, il faut aussi préciser que le fardeau fiscal des entreprises est déjà plus imposant au Québec qu’ailleurs au Canada, affirme Robert Gagné. Lorsqu’on additionne toutes les taxes, les cotisations sociales et tous les impôts exigés par les différentes instances gouvernementales aux entreprises, il appert que les charges fiscales assumées par les entreprises du Québec sont de 1,2 à 1,7 fois plus élevées que dans les autres provinces canadiennes. En poussant un peu plus l’analyse, on s’aperçoit que le prélèvement de la taxe sur la masse salariale n’est pas étranger à cette situation. »

À la lumière de ces constats, une évidence s’impose : la modernisation du cadre fiscal du Québec devrait d’abord passer par une réforme de la fiscalité des entreprises notamment en réduisant la taxe sur la masse salariale. Le fardeau des entreprises deviendrait alors comparable à celui imposé par les autres provinces, ce qui améliorerait non seulement la compétitivité fiscale du Québec, mais aurait aussi une incidence positive sur le salaire des travailleurs, surtout sur celui des Québécois les moins bien rémunérés.

« De plus, si le gouvernement craint de perdre les importants revenus générés par la taxe sur la masse salariale perçue auprès des entreprises et évalués à près de 4 milliards de dollars en 2013, il pourrait réformer l’aide publique qu’il accorde en parallèle à ces mêmes entreprises, propose Robert Gagné. Cette aide, rappelons-le, n’a pas toujours les effets escomptés et peut même occasionner des répercussions négatives sur l’économie selon certaines études qu’on a effectuées. »


Pour en apprendre davantage : Deslauriers, Jonathan, Benoît Dostie, Robert Gagné et Jonathan Paré, La fiscalité des entreprises: L’incidence de la fiscalité, Centre sur la productivité et la prospérité, HEC Montréal, octobre 2015.