Jusqu’ici, la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) a surtout mis en lumière les différends commerciaux qui opposent le Canada et les États-Unis mais en trame de fond, les inquiétudes qu’elle soulève pourraient dissimuler un problème bien plus fondamental: celui de la compétitivité des entreprises canadiennes. Voilà un des principaux constats tirés du plus récent rapport réalisé par le Centre sur la productivité et la prospérité – Fondation Walter J. Somers (CPP).

« Dans un contexte où les tractations qui entourent la renégociation de l’ALÉNA font naître de vives inquiétudes, on en vient à questionner la capacité du Canada à affronter la concurrence, affirme Robert Gagné, directeur du CPP et coauteur de l’étude. L’économie canadienne est-elle fragile au point où l’imposition de barrières commerciales menace la pérennité de certaines industries ? La faiblesse relative du dollar canadien ne procure-t-elle pas un avantage commercial suffisamment important pour compenser l’imposition de telles barrières ? »

Rattrapées par leur immobilisme

Pour mieux comprendre ces enjeux, le CPP s’est donné pour mandat d’évaluer la compétitivité des industries canadiennes. En s’appuyant sur une démarche novatrice basée sur l’évolution relative de la productivité et des coûts de production au Canada et aux États-Unis, les auteurs ont retracé l’évolution de la compétitivité relative des 34 principaux groupes industriels qui composent l’économie canadienne.

De manière générale, les résultats obtenus démontrent que les gains de productivité au Canada ont été trop faibles pour que les industries maintiennent la compétitivité de leur production lorsque le dollar canadien a commencé à s’apprécier au début des années 2000. Faute d’avoir suffisamment investi pour améliorer leur productivité, plusieurs secteurs semblent désormais vulnérables à l’imposition de barrières commerciales même si dans les faits, la faiblesse relative actuelle de la devise canadienne leur procure un avantage commercial non-négligeable.

Selon le directeur, les entreprises canadiennes se sont trop longtemps réfugiées derrière un taux de change favorable pour transiger avec les États-Unis. « En s’appuyant sur la faiblesse relative du dollar canadien, les producteurs canadiens ont vu leurs exportations augmenter de manière fulgurante sans qu’ils n’aient véritablement à se soucier de leur productivité ou de la compétitivité de leur production. Un écart de productivité s’est donc creusé face aux États-Unis et, peu à peu, leur capacité à absorber un choc commercial ou monétaire s’est amenuisée. Ultimement, ces entreprises ont fini par être rattrapées par leur immobilisme ».

Des résultats éclairants

En cumulant les résultats obtenus par industrie, les auteurs ont constaté que la compétitivité de l’économie canadienne a diminué entre 2000 et 2014.

« En faisant abstraction de l’évolution du taux de change, nous avons d’abord remarqué que des gains relativement importants ont été réalisés, précise le directeur. Dans plusieurs secteurs, la pression sur les coûts de production s’est avérée plus faible qu’aux États-Unis en raison de l’augmentation moins rapide du coût des achats intermédiaires et du capital. Résultat : la compétitivité nominale de l’économie canadienne s’est accrue de 9,9 % par rapport aux États-Unis  même si sa performance globale en matière de productivité ne lui a pas permis de retirer le plein potentiel de ces gains. »

L’appréciation de la devise canadienne a toutefois changé la donne. « Une fois les coûts de production ajustés pour tenir compte de l’évolution du taux de change, les gains sont devenus des pertes, explique Robert Gagné. En s’appréciant, la devise canadienne a accru la valeur effective des biens et services produits au Canada. Les gains nominaux n’ayant pas été suffisamment élevés, la compétitivité effective de l’économie a alors chuté ». En moyenne, l’appréciation de la devise canadienne a réduit la compétitivité de l’économie canadienne de 26,6 % entre 2000 et 2014, éclipsant du coup les gains enregistrés avant considération du taux de change. La compétitivité effective de l’économie canadienne aura donc chuté de 16,7 % au cours de cette période, signe que la position concurrentielle du Canada s’est considérablement fragilisée.

 La productivité, la clé de la compétitivité

À la lumière de ces résultats, un constat s’impose : les entreprises canadiennes doivent plus que jamais éviter de se réfugier à nouveau derrière la faiblesse du dollar canadien. Pour améliorer la compétitivité de leur production, elles doivent plutôt miser sur la productivité, un des rares leviers à leur disposition pour accroître leur résilience face à des facteurs qui échappent à leur contrôle comme, par exemple, une augmentation des barrières commerciales découlant de la renégociation de l’ALÉNA.


Pour en apprendre davantage : Deslauriers, Jonathan, Robert Gagné, Fabienne Gouba et Jonathan Paré, Évolution de la compétitivité des industries canadiennes par rapport à celles des États-Unis, Centre sur la productivité et la prospérité (CPP) – Fondation Walter J. Somers, HEC Montréal, septembre 2018.